Pour une vraie réforme de la participation (Les Echos -16/01/2018) – Jean Peyrelevade
D’une bonne idée initiale, celle du général de Gaulle, qui voulait réconcilier capital et travail, on a fait de la participation un instrument illisible. A l’heure de la réformer, le gouvernement devrait supprimer son caractère obligatoire et en faire un sujet de négociation entreprise par entreprise.
Il semble que, dans sa volonté de rééquilibrage à gauche, le gouvernement ait l’intention d’apporter quelques modifications au dispositif dit de participation à l’intérieur des entreprises, qu’il souhaiterait étendre. On lui souhaite bien du courage !
La loi sur la participation relève de cette catégorie de réformes bien françaises où, à partir de principes magnifiquement ambitieux, on fabrique un objet baroque, dont les caractéristiques ne répondent que de fort loin aux objectifs initiaux.
Fracture patronat-salariés
Comment concilier, dans les entreprises elles-mêmes, l’économique et le social, comment réduire la fracture entre patronat et salariés ? L’association du capital et du travail, telle fut la réponse qu’apporta, dès 1947, il y a plus de soixante-dix ans lors d’un discours à Strasbourg, le général de Gaulle à cette question : « L’association digne et féconde de ceux qui mettraient en commun, à l’intérieur d’une même entreprise, soit leur travail, soit leur technique, soit leurs biens et qui devraient s’en partager, à visage découvert et en honnêtes actionnaires, les bénéfices et les risques. »
La réalisation ne fut pas à la hauteur de la conception révolutionnaire. Puisqu’elle dérogeait à la logique capitaliste, cette idée se heurta à l’hostilité des milieux d’affaires et au refus par les syndicats et les forces de gauche d’un concept qui s’apparentait pour eux à la collaboration de classe. Signée il y a quarante ans, le 17 août 1967, l’ordonnance (déjà !) sur la participation fut imposée à Georges Pompidou par le général de Gaulle, près de dix ans après son retour au pouvoir. Elle n’a subi depuis que peu de modifications.
Quels sont ses traits majeurs ? Elle ne porte en rien sur la répartition du pouvoir au sein des entreprises, mais uniquement sur celle des richesses. La participation est ainsi devenue un simple support de rémunérations complémentaires pour les salariés, assorties de quelques faveurs fiscales. Elle vise officiellement à favoriser la motivation du personnel et donc une meilleure performance collective. Elle est d’application obligatoire dans toutes les entreprises de plus de cinquante personnes et concerne aujourd’hui de l’ordre de cinq millions de salariés.
Les entreprises situées en dessous de ce seuil peuvent bien entendu mettre en place, à titre volontaire, un régime de participation et bénéficier à cette fin des bénéfices fiscaux et sociaux qui y sont associés.
Personne ne semble s’être ému du fait que, depuis quarante ans, aucune extension spontanée de la participation des salariés ne s’est produite : moins de 4 % des effectifs potentiellement concernés se sont vu appliquer ce régime. Ce qui laisse penser que ses effets prétendus sur la motivation des personnels et les performances des entreprises sont rien moins qu’évidents.
Comme souvent en France, on ne prend pas le temps d’analyser les raisons de l’échec et l’on sent monter la tentation de forcer le destin d’une bonne idée mal appliquée en étendant son caractère obligatoire. Ce qui achèverait de lui enlever toute portée et de faire de la participation, aux yeux des chefs d’entreprise, une charge supplémentaire, sans contrepartie positive. Comme si la réconciliation du capital et du travail pouvait passer par la contrainte…
Quels sont les défauts irrémédiables de la solution actuelle ? D’abord, avoir oublié la volonté initiale. Pour que les salariés comprennent l’entreprise, il faut faire en sorte qu’ils aient un intérêt direct à l’amélioration des performances, et donc leur donner accès à une partie du profit. Chaque négociation d’accord devrait être l’occasion d’une pédagogie explicite sur la formation du résultat et sa répartition. Cette négociation devrait être libre, ouverte, selon des critères variables qui pourraient dépendre du secteur concerné, de la taille de l’entreprise et de la nature de ses activités : l’industrie lourde et les services de proximité n’ont pas exactement les mêmes contraintes de structure financière et d’investissement. L’accord éventuel, qui ne serait plus obligatoire mais facultatif, serait soumis à agrément.
Equation jupitérienne
Nous en sommes fort loin. L’ordonnance fondatrice de 1967 s’est accompagnée d’une formule unique de calcul du partage, concoctée par le ministère des Finances et appliquée à la France tout entière. Cette équation jupitérienne a deux caractéristiques tout à fait intéressantes. La première est qu’elle est ignorée de la quasi-totalité des personnes concernées, les salariés, bien entendu, mais aussi les chefs d’entreprise et, j’en suis convaincu (faites le test), les lecteurs des « Echos » !
La seconde est que, même pour ceux qui la connaissent, elle est incompréhensible, malaisément explicable et très variable dans ses effets, d’une entreprise à l’autre. Comment peut-on fonder, avec quelque chance de succès, une pédagogie visant à rapprocher le capital et le travail autour d’une vision commune de l’entreprise si on doit utiliser à cette fin un instrument qui relève d’un insondable mystère technocratique ?
La participation, telle qu’elle est aujourd’hui appliquée, n’est pas amendable. L’audace, la vraie, consisterait à supprimer son caractère obligatoire et à en faire un sujet de négociation, entreprise par entreprise. Tous les autres rafistolages seront au mieux sans effet, au pire contre-productifs.