Comment Kickstarter s’est éloigné du tout-profit

« Les ECHOS » 25/04/2017

Etienne Combier

La start-up américaine, pionnière du financement participatif, a changé radicalement de structure.

C’est un changement important, qui est passé inaperçu. En septembre 2015, Kickstarter a changé de dénomination et de forme juridique aux Etats-Unis. D’une structure dédiée entièrement au profit, appelée C-Corporation, Kickstarter est devenu une entreprise « à bénéfice public » (public-benefit corporation).

La différence entre les deux statuts ? Une entreprise à bénéfice public n’aura pas uniquement comme objectif d’amasser des profits mais s’attachera à réaliser des objectifs sociaux, quand une C-Corporation ne s’intéressera qu’au profit. Concrètement, une entreprise à bénéfice public est dotée d’une charte, qu’elle se fixe librement, dans laquelle elle liste ses responsabilités sociales et ses objectifs. Tous les deux ans, elle doit faire le point sur son état d’avancement. Son premier rapport a ainsi été rendu fin février.

Dans le cas de Kickstarter, l’entreprise s’est fixé plusieurs objectifs, liés notamment au soutien artistique, mais pas seulement.

Depuis 2015, Kickstarter a payé un taux d’imposition plus élevé que la moyenne (25 % contre environ 20 % pour les grandes entreprises). La start-up emploie autant d’hommes que de femmes pour ses postes de responsabilité et même plus de femmes que d’hommes au total (53 %).

Les dirigeants de Kickstarter perçoivent un salaire cinq fois supérieur aux employés, loin derrière la moyenne de la high tech où le ratio est de 95 fois. Dans sa charte, Kickstarter s’est également engagé à diversifier l’origine de ses employés. Ce qu’elle commence à accomplir : 100 % de ses stagiaires sont recrutés par une association promouvant la diversité, tandis que près d’un tiers de ses employés ont des origines non caucasiennes.

Un changement délicat

L’histoire de ce changement est rapportée par le site « Fast Colpany ». Issu d’une réflexion de l’un de ses trois cofondateurs, Perry Chen, ce statut d’entreprise « à bénéfice public » a été proposé aux investisseurs, qui l’ont accepté à l’unanimité. Kickstarter rejoint les quelque 5.000 entreprises à bénéfice public existant aux Etats-Unis contre… 1,7 million d’entreprises C-Corp.

Plus largement, les fondateurs de Kickstarter ont voulu s’éloigner d’un modèle où les actionnaires sont les seuls maîtres à bord. Comme le souligne

Fast Company,

une C-Corporation aux Etats-Unis peut être attaquée judiciairement si elle ne parvient pas à satisfaire ses « devoirs fiduciaires ». Aussi, si une entreprise décide d’augmenter ses dépenses dans des domaines « secondaires » (environnement, bien-être au travail…) sans que les profits suivent, elle sera pénalisée. Avec son nouveau statut, Kickstarter n’a cependant pas abandonné la quête de profit. Elle l’a simplement assorti de conditions sociales.

Un modèle contesté

Cependant, le statut d’entreprise à bénéfice public est loin de faire l’unanimité aux Etats-Unis. Culturellement, le profit comme unique objectif de l’entreprise est très ancré, notamment depuis l’arrêt de la Cour suprême « Dodge vs Ford » de 1919 opposant Henry Ford à deux de ses actionnaires. La Cour a alors jugé qu’un employeur devait avant tout satisfaire ses actionnaires, quitte à délaisser les aspects sociaux.

De nos jours, l’opposant le plus virulent à ce nouveau statut s’appelle David Rose. Investisseur et fondateur de Gust, il ne croit pas que l’on puisse faire du profit et « sauver le monde ». « Moi, je veux sauver le monde. J’essaie et je n’investis que dans des choses qui le rendront meilleur. Mais ce sont des entreprises, remarque-t-il. Si la société veut sauver le monde, elle le valorisera et vous pourrez ainsi faire de l’argent. Mais la seule façon d’avoir une entreprise autonome passe par le profit. Cela s’appelle le capitalisme », assène-t-il.

Pour l’heure, il est délicat de dresser un bilan des entreprises à bénéfice public. Encore très récent, le statut n’a été créé qu’en 2013 – à la suite d’une bataille juridique. Kickstarter, avec près de 30 millions de dollars de bénéfice en 2016, est aujourd’hui leur figure de proue. Mais elle ne compte pas diffuser son modèle : « A long terme, nous pourrions offrir plus d’information pour les créateurs d’entreprise mais pour le moment, rien n’est fait », explique-t-on du côté de la start-up.