Charles De Gaulle, Allocution du 29 septembre 1968

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Le mois dernier, tout s’en allait. Notre pays, scandalisé par l’anarchie universitaire, paralysé par la grève généralisée, désemparé par l’incertitude d’un parlement sans majorité, pouvait penser que la République disparaissait avec la Liberté. Le 30 mai, sentant qu’enfin s’éveillait l’instinct national, j’en ai appelé au peuple. Il m’a répondu dans ses profondeurs. Du coup, fut rompu le charme maléfique qui nous entraînait vers l’abîme, tandis que se déployait les manifestations de l’espérance retrouvée, puis que se déclenchait le retour au travail, enfin que la Nation s’exprimait au premier tour des élections, tout a été réparé. Voilà la page qui vient d’être inscrite au livre tourmenté de notre histoire. Maintenant que semble s’éloigner une épreuve qui eut emporté tout autre régime que le nôtre, et que nous n’avons sur le moment surmontée que grâce à un gouvernement solide et déterminé autour du Chef de l’Etat, il est vital que la France reprenne sa marche en avant. Tout d’abord, puisque la République a failli nous être arrachée, nous devons nous unir, non seulement pour la défendre et y remettre tout en ordre, faute de quoi, c’est le malheur qui aurait décidément gagné, mais encore pour la rendre plus efficace et plus fraternelle. C’est dire qu’en votant demain, nous devons démontrer à cet égard notre massive résolution, et nous donner un Parlement qui soit capable de soutenir, par une forte, constante, cohérente majorité, la politique nécessaire. Cette politique sera rude car nous allons avoir à mener un grand effort de production, de productivité, de travail. Pour réparer au milieu de nos concurrents étrangers, le handicap que nous inflige la crise dont nous sortons, pour empêcher que la hausse des prix, l’inflation, la chute de la monnaie, réduisent à moins que rien, l’amélioration des salaires et les allocations des familles et gens âgés, et développent chez nous le chômage. Pour poursuivre l’avance qui entraînait depuis 10 ans, grâce à la paix, peu à peu rétablie, notre industrie, notre agriculture, notre commerce, et qui nous plaçait pas à pas à la pointe du progrès moderne. Cela nous devons le faire et nous pouvons le réussir en agissant en pleine indépendance, mais en coopérant activement, avec d’autres pays, d’un bout à l’autre de l’Europe, notamment dans le Marché Commun et en accroissant nos échanges, partout ailleurs à travers le monde. Mais par dessus tout, il s’agit d’accomplir la vaste mutation sociale qui, seule, peut nous mettre en état d’équilibre humain, et que d’instinct appelle notre jeunesse. Il s’agit que l’Homme, bien qu’il soit pris dans les engrenages de la société mécanique, voie sa condition assurée, qu’il garde sa dignité, qu’il exerce sa responsabilité, il s’agit que dans chacune de nos activités, par exemple, une entreprise ou une université, chacun de ceux qui en font partie soit associé directement à la façon dont elle marche, au résultat qu’elle obtient, au service qu’elle rend à l’ensemble national. Bref, il s’agit que la participation devienne la règle et le ressort d’une France renouvelée. Françaises, Français, voilà le chemin qu’il faut suivre, et que ma vocation et mon mandat me commandent de vous montrer, puisque le destin est en jeu. Mais, quand demain, comme je l’espère, vous en aurez ainsi démocratiquement décidé, alors, puissions-nous, en dépit d’erreurs, des secousses, des divisions, qui ont encore une fois failli briser notre pays, nous retrouver tous, nous respecter les uns les autres, nous rapprocher mutuellement dans notre unité nationale. Car c’est au même titre, que toutes et tous nous sommes, comme l’ont été nos aïeux, comme le seront nos descendants, les filles et les fils de la France. Vive la République, vive la France !